Jasper Stuyven : « Je pourrais le faire les yeux fermés »
10 avril 2025 - 11:01
LES INCREVABLES (V/V)
Episodes précédents :
. Chiara Consonni : « C’est une course folle, comme moi »
. Oliver Naesen : « Dans la Trouée, qu’importe où je mets mes roues, je crève »
. Margaux Vigié : « Je ne suis pas méchante avec les pavés »
. John Degenkolb : « C’est en moi »
Paris-Roubaix est une affaire de spécialistes, peut-être la classique la plus indomptable et en tout cas celle dont les exigences physiques et techniques sont les plus pointues. Sa cruauté et sa rudesse en effraient certains, mais en exaltent beaucoup d’autres, qui en font le rendez-vous majeur de leur saison. Parmi ces habitués, une petite caste présente un taux de réussite de 100 %, mais quelle est leur recette pour venir systématiquement à bout du parcours ? John Degenkolb, Jasper Stuyven et Oliver Naesen n’ont jamais connu l’abandon sur la Reine des classiques, tout comme Margaux Vigié et Chiara Consonni, qui ont bouclé les quatre premières éditions de Paris-Roubaix Femmes avec Zwift. Ils décryptent pour paris-roubaix.fr les détails de leur préparation, la technique qui leur permet de surfer sur les pavés, les petites astuces ou encore la dimension mentale de ce défi qu’ils maîtrisent un peu mieux que les autres.
Le maillot arc-en-ciel rayonnait dans toute sa splendeur il y a un an à Roubaix, avec les sacres des champions du monde Mathieu van der Poel et Lotte Kopecky dans l'Enfer du Nord. Les stars irisées s’inscrivaient dans la lignée de Peter Sagan et de quelques autres stars qui ont fait briller la prestigieuse tunique sur les pavés. Mais dans le cadre de Paris-Roubaix Juniors, créé en 2003, un seul champion du monde a fait triompher l’arc-en-ciel sur le vélodrome André-Pétrieux : Jasper Stuyven, en 2010. Ce fut un véritable coup de foudre pour le Flandrien, qui ne voulait pas venir et a finalement été conquis par l'atmosphère unique de la Reine des Classiques. Depuis, il est revenu pour deux éditions de l'épreuve Espoirs et se prépare désormais à affronter sa dixième participation avec les pros. Son bilan affiche une régularité impressionnante : deux Top 5 et aucun abandon. Avec sa ténacité et ses talents, Stuyven est habitué à déjouer les pièges de l'Enfer du Nord et, en tant qu’homme des grands rendez-vous, il est un prétendant de premier ordre pour ce week-end.
Jasper Stuyven (Lidl-Trek)
Né le 17 avril 1992 à Leuven (Flandre, Belgique)
Équipes : Trek Factory Racing, Trek-Segafredo, Lidl-Trek (depuis 2014)
Principales victoires :
Milan-Sanremo 2021
Omloop Het Nieuwsblad 2020
Kuurne-Bruxelles-Kuurne 2016
Deutschland Tour 2019
1 étape de La Vuelta (2015)
2 étapes du BinckBank Tour (2017, 2018)
Résultats à Paris-Roubaix :
2014 : 55e / 2015 : 49e / 2016 : 39e / 2017 : 4e / 2018 : 5e / 2019 : 27e / 2021 : 25e / 2022 : 7e / 2023 : 20e
Signe particulier : Pendant que tout le monde se demande ce que Tadej Pogacar peut faire à l’occasion de son premier Paris-Roubaix, Jasper Stuyven a déjà de solides certitudes après que les deux hommes se sont échappés sur la 5e étape du Tour 2022, en direction d’Arenberg. "Je n’étais pas vraiment surpris de le voir avec moi", assure-t-il. "Je pense qu'il peut tout faire et qu'il est un concurrent majeur pour ce week-end.”
LA PRÉPA’ : « L'ÉQUIPEMENT FAIT L'OBJET D'UNE ATTENTION PARTICULIÈRE »
« Je dois dire que Roubaix est l'un des rares parcours que je pourrais faire les yeux fermés. » À l'exception de quelques ajustements mineurs, la reine des classiques présente les mêmes défis chaque année et, avec 12 participations à son actif (y compris ses participations chez les juniors et espoirs), Jasper Stuyven fait partie des coureurs les plus expérimentés sur l’épreuve. Pas question pour autant de faire l'impasse sur les traditionnelles reconnaissances avant de se lancer dans l'Enfer du Nord. « C'est toujours bon de se rafraîchir la mémoire », explique-t-il. « Et parfois, tu as des pneus différents, des roues différentes, alors tu veux t’assurer d’avoir confiance en tes choix. »
Le coureur belge, passé professionnel en 2014, a fait toute sa carrière dans la même formation, Lidl-Trek, qui a dominé les deux premières éditions de Paris-Roubaix Femmes avec Zwift et a toujours joué un rôle majeur dans la course masculine. « L'équipe accorde une grande importance au matériel et elle fait beaucoup d'efforts pour nous donner la meilleure configuration possible », explique Stuyven. « Et ces dernières années, ils ont trouvé les bons réglages, ce qui est très agréable. » Pour cette campagne de printemps, l'équipe a offert à ses coureurs la possibilité d’utiliser un mono-plateau. « Je ne m’en suis pas servi dans les classiques flamandes, mais je l'utiliserai à Roubaix, car il n'y a pas besoin de petits développements », explique Stuyven. « Il suffit d'un grand plateau et le changement de vitesse est très fiable. C'est un choix personnel. Je pense que ça fonctionne mieux à Roubaix que dans les Flandres pour le type de coureur que je suis. »
LES PAVÉS : « J'ESSAIE D'ANTICIPER »
Pur Flandrien, Stuyven tient les pavés de Paris-Roubaix en haute estime : « Il y a quelque chose de spécifique, peut-être pas dans tous les secteurs, mais ils ont quelque chose de brutal. » Pourtant, Stuyven semble les avoir apprivoisés, comme le montre sa régularité dans l'Enfer du Nord et une donnée significative : il n'a chuté qu'une seule fois ! « C'était lors de l'édition pluvieuse, en 2021 », se souvient-il. « En fait, j'étais à la voiture et il y a eu un problème de communication entre le mécanicien et moi, et c'est pour ça que je suis tombé. Je ne vais pas dire que je suis plus doué. Peut-être un peu plus de chance... J'espère que ça va continuer comme ça, c'est sûr. »
À l’écouter, il n'y a pas de grands secrets quant à la manière d'affronter les pavés de Paris-Roubaix : « Plus les jambes sont bonnes, plus on passe facilement. La clé est de ne pas perdre son élan. Si vous perdez votre élan sur les pavés, ça peut être vraiment merdique. J'essaie d'anticiper les pavés qui dépassent ou les trous qui arrivent. »
LE MENTAL : « IL FAUT ÊTRE CONCENTRÉ DU DÉBUT À LA FIN »
Beaucoup de coureurs ont décrit une relation de type “je t’aime, moi non plus” avec Paris-Roubaix, un défi prestigieux et éprouvant, mais rien ne semble entamer la passion de Stuyven pour l’Enfer du Nord. « Je comprends l'idée, reconnaît-il. Ces routes ne sont pas les plus agréables lors d'une journée de reconnaissance avec un vent de face... Mais sinon, j'ai connu la malchance à Roubaix, des crevaisons au mauvais moment, mais je n’ai pas de sentiments haineux. Disons qu'il y a des éditions qui se sont mieux passées pour moi, et d'autres où c’était plutôt de l’amour vache. » La force de l’expérience aide à relativiser : « Chaque classique est un combat mental et à Roubaix, il faut être concentré du début à la fin. J'essaie de prendre le départ avec le meilleur état d'esprit et les meilleures jambes possibles. Et comme c'est une période où l'on veut être au meilleur de sa forme, cela augmente aussi les chances d'avoir une bonne journée. »
L'ABANDON : « TANT QUE C'EST POSSIBLE, JE CONTINUE »
Stuyven est un dur au mal, comme il l'a montré depuis le début de sa carrière. Parmi les exemples les plus marquants de sa capacité de résistance, on trouve sa première victoire professionnelle, sur la 8e étape de La Vuelta 2015 : le Belge s'était cassé un scaphoïde dans une chute à 50 kilomètres de l'arrivée avant de s’imposer à Murcie et de se retirer le lendemain. À Roubaix, il n'a jamais abandonné, et il en va de même pour le Tour des Flandres, l'autre monument pavé. « Lors de ma première année, on m'a dit d'essayer de terminer ces courses parce que, en tant que jeune coureur, ça t’apporte quelque chose pour plus tard et tu as la satisfaction d'avoir réussi, après tout le dur labeur, explique-t-il. J'ai gardé cela à l'esprit pour ma première participation et ensuite j’étais plus en mesure d'obtenir des résultats. »
« Quoi qu'il en soit, j'essaie toujours de terminer mes courses. Ce n'est pas toujours le plus amusant, mais même si je me retrouve dans une situation que je ne pensais pas connaître, j'essaie simplement d'aller jusqu'au bout, ajoute Stuyven. Ce n'est pas le pire de continuer, même si vous êtes loin derrière. En cas de chute, c'est différent, mais tant que c'est possible, je continue. Bien sûr, il arrive que l'on soit malade ou qu'une situation vraiment désagréable se présente, mais cela n'a pas été le cas pour moi à Roubaix et j'espère que ça n’arrivera pas à l'avenir. »
LE PETIT TRUC EN PLUS : « IL Y A BEAUCOUP DE BELGES SUR LE BORD DES ROUTES »
Comment naît l'étincelle de l'amour ? « En fait, je ne voulais pas courir Paris-Roubaix en tant que junior », raconte Stuyven en souriant. « À cet âge, ce sont les parents qui paient les factures et je ne voyais pas l'intérêt de détruire un vélo ou des roues sur ces pavés, ni de demander à mes parents d'investir dans du matériel spécifique. En fait, je l'ai fait parce que d'autres coureurs m'ont dit : “Il faut que tu y ailles pour l'ambiance”. » Alors Stuyven est venu dans l’Enfer du Nord... « J'ai fait la reconnaissance le jeudi et j'ai eu de bonnes sensations sur les pavés, se souvient-il. Et puis, ce qui a contribué à cette connexion spéciale, ce n'est pas seulement que j'ai gagné la course juniors en tant que champion du monde, mais aussi qu'en tant que Belge, c'est un jour où nous avons beaucoup plus de gens pour nous encourager que nous n'en avons jamais eu. Il y a beaucoup de Belges venus sur le bord des routes pour la course professionnelle. Quand ils voient le maillot national belge, ils encouragent. Et en plus, j'étais champion du monde, donc ils m'ont donné ce coup de pouce supplémentaire pour aller chercher la victoire. »
« À partir de ce moment-là, j’étais amoureux et la passion n'a pas disparu », conclut-il.