Oliver Naesen : « Dans la trouée, qu'importe où je mets mes roues, je crève ! »
4 avril 2025 - 11:37
LES INCREVABLES (III/V)
Episodes précédents :
. Margaux Vigié : « Je ne suis pas méchante avec les pavés »
. John Degenkolb : « C’est en moi »
Paris-Roubaix est une affaire de spécialistes, peut-être la classique la plus indomptable et en tout cas celle dont les exigences physiques et techniques sont les plus pointues. Sa cruauté et sa rudesse en effraient certains, mais en exaltent beaucoup d’autres, qui en font le rendez-vous majeur de leur saison. Parmi ces habitués, une petite caste présente un taux de réussite de 100 %, mais quelle est leur recette pour venir systématiquement à bout du parcours ? John Degenkolb, Jasper Stuyven et Oliver Naesen n’ont jamais connu l’abandon sur la Reine des classiques, tout comme Margaux Vigié et Chiara Consonni, qui ont bouclé les quatre premières éditions de Paris-Roubaix Femmes avec Zwift. Ils décryptent pour paris-roubaix.fr les détails de leur préparation, la technique qui leur permet de surfer sur les pavés, les petites astuces ou encore la dimension mentale de ce défi qu’ils maîtrisent un peu mieux que les autres
De son propre aveu, et malgré sa nature de flahute, Oliver Naesen entretient « une relation bizarre » avec Paris-Roubaix : « C'est une course que j'adore et déteste en même temps ! Elle ne m'a jamais souri. Je pense que j'ai plus de crevaisons sur mes 9 participations que dans l'intégralité du reste de ma carrière, ou pas loin ! C'est vraiment une course marquée chez moi par la malchance, des chutes, des crevaisons, des problèmes techniques. J'ai eu de tout … sauf des Top 10 ! » Le Belge de 34 ans ne désespère pas de l'obtenir enfin, ce Top 10 frôlé à trois reprises (12e et deux fois 13e). « Parmi toutes les classiques, c'est peut-être celle où j'ai le plus de chances d'avoir un super résultat, car le facteur chance joue tellement. » Et il pourra, cette année encore, s'appuyer sur une forme intéressante vu ses résultats à l'E3 Saxo Classic (12e) et Gand-Wevelgem (21e) : « J'aborde la course avec optimisme et ambition ! »
Oliver Naesen (Decathlon AG2R La Mondiale)
Né le 16 septembre 1990 à Oostende (Belgique)
Équipes successives : Cibel (2014), Topsport Vlaanderen-Baloise (2015), IAM Cycling (2016), AG2R La Mondiale, AG2R Citroen Team, Decathlon AG2R La Mondiale (depuis 2017).
Principaux résultats :
. Vainqueur de la Bretagne Classic (2016 et 2018)
. Champion de Belgique (2017)
. Vainqueur de la Poly Normande (2015)
. Vainqueur d'étape sur l'Eneco Tour (2019)
. 2e de Milan-San Remo (2019)
. 2e de l'Eneco Tour (2016 et 2019)
. 3e de Gand-Wevelgem (2019)
. 7e du Tour des Flandres (2019, 2020 et 2024)
Ses places à Roubaix :
2015 : 57e / 2016 : 13e / 2017 : 31e / 2018 : 12e / 2019 : 13e / 2021 : 52e / 2022 : 54e / 2023 : 66e / 2024 : 24e
Signe particulier : Avant même de débuter sa carrière, Oliver Naesen s'est lié d'amitié avec Greg Van Avermaet, vainqueur de l'épreuve en 2017, qui fut ensuite son coéquipier de 2021 à 2023, année de la retraite du champion olympique. « il roule encore souvent avec nous, sourit le Flamand. Roubaix était la classique qui lui allait et lui plaisait le moins ! Greg avait toujours mal partout quand il finissait Roubaix. C'était un peu à l'inverse de moi. Au Tour des Flandres, par contre, il finissait frais alors que je finissais défoncé ! C'était marquant de voir à quel point nos corps étaient marqués différemment par ces deux courses. Pourtant, Greg n'a jamais gagné les Flandres, mais Roubaix si ! C'est pour ça que je me dis : hmmm, c'est toujours possible pour moi ! »
LA PRÉPA' : « IDENTIFIER LE "SWEET SPOT" »
« Paris-Roubaix est une course que j'ai reconnue je ne sais combien de fois ! » s'esclaffe Oliver Naesen. Il a attendu d'être un « vieux néo-pro », soit 24 ans, pour rouler une première fois sur les pavés du Nord. Depuis, il cède plusieurs fois par hiver à la tentation d'y retourner, titillé qu'il est par sa proximité avec les secteurs - les plus proches se trouvent à une grosse heure en voiture de son domicile, près de Gand. « J'y vais en novembre, décembre, janvier, février… On en profite à chaque fois pour tester le matériel. Le plus important, ce sont les roues et les pneus, et comment définir la meilleure pression. » A l'entraînement, explique-t-il, « plus elle est basse, plus on va vite sur les pavés. Mais il y a un seuil qu'on ne peut pas dépasser. Si tu baisses trop, quand tu prends un trou, l'air risque de s'échapper dans le joint entre le pneu et la jante. Et ça empire à chaque nouveau trou, si bien que tu finis à plat ! Il faut donc essayer d'identifier le "sweet spot", l'équilibre parfait entre performance et risque. Une crevaison coûte toujours plus cher que 5 ou 10 watts de gagnés sur un secteur. C'est pour ça que les tests sont importants, même si, avec l'expérience, on arrive déjà avec quelques idées en tête. » Dans les jours précédant la course, il roule habituellement trois heures sur les pavés le jeudi, deux heures le vendredi, puis effectue une sortie café le samedi. Mais, « dans un monde parfait », il préférerait éviter les secteurs tout au long de cette semaine d'approche « car ça fatigue énormément ». Il filerait plutôt en Espagne, après le Tour des Flandres, le dimanche soir ou lundi, pour s'entraîner 4 ou 5 jours sous le soleil et ne rentrer que le vendredi. « Ça permettrait aussi de refaire un travail de fond car on enchaîne les courses depuis Paris-Nice, on ne trouve plus le temps de faire un entraînement de qualité. Après, je n'ai encore jamais essayé cette approche, je ne sais pas si elle fonctionnerait ! »
LE MATOS : « PLUS DU TOUT COMME IL Y A 10 ANS »
Dix ans après sa première participation, Oliver Naesen constate à quel point le matériel a évolué dans l'Enfer du Nord. « Avant, on avait carrément un vélo spécial pour Roubaix. Désormais, on utilise le même vélo, c'est juste les braquets que l'on change de temps en temps. Cette année, on a parlé de mettre un 58-46 (la denture des grand et petit plateaux) si le vent est de dos. Ça commence à être vraiment gros ! En course, j'utilise habituellement un 56-44. Le 58 ne me paraît pas nécessaire. Surtout qu'à Roubaix, il y a ce sprint sur la piste, et pour moi, c'est là où il y a le plus de places à gagner. Quand t'arrives cramé au sprint, le 58 risque de casser ta vitesse ! Sinon, j'ai déjà fait Roubaix avec un dérailleur de gravel - je ne sais pas encore si je le referai cette année. C'est plus solide, car la chape est en aluminium et non en carbone, et ça m'est déjà arrivé de casser une chape rien qu'avec les vibrations du pavé. » Ce qui a le plus changé, à ses yeux, concerne la pression des pneus. « Ce n'est plus du tout comme il y a 10 ans. Sur des courses plates et asphaltées, on était à 8 bars. Désormais, je ne dépasse jamais 4,6 ! » Cela tient en grande partie à l'utilisation des tubeless (des pneus sans chambre à air) et à l'augmentation toujours croissante de la section des pneus. « Avant, on roulait sur un boyau dédié à Roubaix, un boyau vert, qu'utilisait notamment Thor Hushovd (2e en 2010). C'était du 25 ou 26 (en millimètres d'épaisseur). Cette année, je pense qu'on roulera sur du 32, à l'avant comme à l'arrière. Et ça ne m'étonnerait pas qu'on utilise bientôt des pneus de 40 ! Je ne vois pas de désavantage à cela. » Pour limiter les ampoules sur les mains, il avise en fonction du « fitting des gants » à sa disposition : « Quand ils sont trop grands, il vaut mieux ne pas en mettre, car c'est la friction qui génère les cloques. Mais si on a des gants taillés parfaitement, il n'y a besoin que de ça. Cette année, je vais peut-être mettre mes gants de chrono. Après, c'est vrai que j'aime bien mettre une double guidoline en bas du guidon ! »
LES PAVÉS : « MON RECORD EST DE 5 CREVAISONS »
Lors de ses neuf premières participations, Oliver Naesen n'a jamais échappé à la crevaison ! « J'ai toujours percé à Roubaix ! Mon record est de 5 crevaisons, et cela m'est arrivé deux ou trois fois. Quand c'est comme ça, tu passes ta journée dans les voitures à chasser les groupes ! Pas de crevaison, ça ne m'est pas encore arrivé. J'espère que ce sera pour cette année ». Sa bête noire est la Trouée d'Arenberg. « Cela ne m'est arrivé qu'une seule fois de ne pas y crever ! J'ai essayé tous les placements, top 5, top 10, top 20... Et qu'importe où je mets mes roues, je crève ! J'ai déjà explosé des jantes, des cintres et même des cadres. C'est comme si le désespoir tombait toujours sur moi ! Peut-être que je cours trop agressivement. Pourquoi je crève autant ? Je ne sais pas ! » Il connaît pourtant les pavés par cœur, les clés de chaque secteur. « En règle générale, si c'est une édition sèche, on roule sur les bords car les joints entre les pavés sont remplis de sable, ça rend beaucoup mieux. Mais c'est aussi là que les tracteurs passent, donc on y trouve les plus gros trous. Il faut résister aux tentations de se mettre où ça roule le mieux, sur les bords donc, car c'est là où se trouvent les vrais risques de crevaison. Pas le choix : il faut rouler au milieu, même si cela ne rend pas ! » Son secteur favori est le « Carrefour de l'Arbre, car c'est le dernier où tu peux faire encore une différence. L'année où Greg gagne (2017), je revenais fort avec Boonen sur son groupe. Mais en sortant du Carrefour, j'ai explosé mon dérailleur et fini la course, il me semble, sur un vélo jaune Mavic ! » Aujourd'hui, il ne juge plus « réaliste » de gagner : « Mais un Top 10 est tout à fait faisable. Il faudra juste rester avec les favoris le plus longtemps possible… Je n'ai jamais été lâché de la roue d'aucun coureur sur aucun secteur pavé ! Mais je dirais que le physique n'importe ici qu'à 70%. Ensuite, il y a une grande part de chance, et la tête joue aussi ! »
L'ABANDON : « JE N'AI JAMAIS ÉTÉ SUR LE POINT D'Y PENSER »
Malgré toutes les crevaisons et toutes les chutes - 3 ou 4 à Roubaix, alors qu'il ne « tombe en moyenne qu'une fois par an » Oliver Naesen « n'a jamais été sur le point de penser à l'abandon, car je n'ai jamais été si loin », sa moins bonne place étant 66e. Pour surmonter l'Enfer du Nord, il s'applique à avoir « un plan en tête » : « Je divise cette course en plusieurs zones rouges, comme pour chaque classique. En général, à Roubaix, il y en a quatre. Chacune correspond à un enchaînement de secteurs. Quand tu vois qu'il y a 30 secteurs, soit 55 km de pavés, tu te dis : ouh, ça semble beaucoup ! Mais en les regroupant en quatre zones, que j'essaie chacune d'aborder le mieux placé possible, c'est beaucoup plus facile psychologiquement, du moins pour moi. »
LE PETIT TRUC EN PLUS : « BEAUCOUP DE CONFIANCE EN MON MATÉRIEL »
Si l'ancien champion de Belgique dit aborder sa dixième participation dans le même état d'esprit que les précédentes, il affirme avoir « beaucoup de confiance cette année dans mon matériel, ce qui n'a pas toujours été le cas. C'était déjà le cas l'an passé, où l'on a eu nos nouveaux vélos (Van Rysel). Mais on a cette année un partenaire pneu qui est la meilleure marque, chose que je n'avais pas eu durant toute ma carrière. Aussi, on va utiliser notre vélo aéro, une première aussi à Roubaix, car il n'est sorti qu'en juillet. Des trucs comme ça peuvent faire une grande différence sur 260 kilomètres. J'aborde Roubaix avec de l'optimisme et de l'ambition. Je sais que c'est une journée où tout, où beaucoup est possible. Malgré mon manque de résultats sur cette course, je sais qu'elle me va très bien ! »